Le choix du label Art Brut ou Outsider Art révèle la difficulté de donner une définition simple de ce champ de l’art complexe aux expressions souvent paradoxales.
Pour abcd le label Outsider Art est particulièrement malheureux, il évoque les courses de chevaux avec ses cracks et ses tocards, le corps social avec ses winner et ses loser. Mais cette expression n’est pas la simple traduction maladroite du mot Art Brut, elle recouvre un champ différent, beaucoup plus large. L’Outsider Art regroupe des expressions plastiques qui se constituent plus ou moins spontanément en marge de la culture officielle. Une sorte d’inventaire des arts marginaux. On y trouve de tout : le folk art, les naïfs, les visionnaires, les spirites, les œuvres de malades mentaux, les œuvres de prisonniers, les productions de SDF, les singuliers, les artistes de la Neuve Invention, les autodidactes…
Ainsi cerné ce champ conduit à des recherches pour l’essentiel sociologiques, avec des questionnements principalement autour de la marge et de la culture. En occultant la dimensions existentielle, ontologique, métaphysique, l’histoire des esprits, des inconscients, celle de ces âmes tourmentées, le concept d’Outsider Art est réducteur. Mais il est également confus, en effet rien ne relie, par exemple, une œuvre d’art naïf et une production fabuleuse d’un schizophrène.
L’Art Brut se positionne sur un autre terrain, son champ de collections est plus réduit, il travaille avec d’autres outils théoriques qui rendent mieux compte de la richesse de cet art que je collectionne. Il émane en effet de ces œuvres une certaine spiritualité intérieure, des œuvres du silence, nourries d’une dimension « mystique ». La plupart ne s’adressent pas à nous, mais à une altérité, une instance « supérieure », un Dieu matriciel, pourrait-on dire. Elles comportent une infinité de signes et toutes sortes d’évocations sans aboutir jamais à une signification avérée. La multitude de points de vue, avec les frontières du savoir normatif qui explosent, témoignent d’une autre façon de voir le monde, écrivent d’autres histoires. Les constructions complexes, énigmatiques de ces œuvres nous interpellent et provoquent souvent en nous un état de perplexité – « l’inquiétante étrangeté ». L’Art Brut nous invite à un voyage mental, à la perte de nos repères. Nous sommes en présence, là, de partitions jouées sur une autre scène, dans un autre temps, qu’on pourrait appeler mythologiques. Un art d’une richesse sans fin, écrivant des histoires extraordinaires, fabuleuses, nourries de constructions mentales hors normes, un Art Brut.