Abandonné par un père alcoolique alors qu’il n’a que sept ans, Adolf Wölfli est placé comme valet de ferme puis, à la mort de sa mère, est ballotté de familles en familles. Sa jeunesse est marquée par des échecs amoureux successifs. Arrêté en 1890 pour attentat à la pudeur, il purge deux ans de prison, mais en 1895 il récidive plus gravement. De nouveau arrêté pour avoir tenté d’abuser d’une fillette de trois ans, il est diagnostiqué schizophrène et interné à l’hôpital psychiatrique de la Waldau, où il restera jusqu’à la fin de ses jours. Cet internement marque pour lui le début d’une « seconde vie ». Au cours des cinq premières années, son état mental empire et il est la proie de crises d’hallucinations répétées. Avec le nouveau siècle, il commence à dessiner, à écrire et à composer de la musique. Le docteur Walter Morgenthaler, affecté à l’hôpital en 1907, s’intéresse à son travail et le considère alors comme un artiste à part entière, lui consacrant un ouvrage publié en 1921.
L’œuvre de Wölfli comprend des centaines de dessins, des partitions musicales, des collages et de très nombreux écrits, formant une biographie imaginaire démesurée de vingt-cinq mille pages. Il y réinvente tout : l’histoire, la géographie, la religion, la musique, etc. Il entend dominer la Création, l’Espace, mais également l’Eternité. Il excelle aussi dans les inventions plastiques et joue avec les associations de perspectives contraires : la réunion de plusieurs points de vue révèle des réseaux complexes, où les éléments ornementaux (les portées par exemple) ont une fonction décorative autant que rythmique. « Rejeté », victime d’un « amer accident », Wölfli se nomme lui-même « Saint », « Grand-Grand-Dieu », « Génie », ou bien « Adolf II », « Empereur ». Dans son monde, il échappe à tous les accidents ou « attaques de monstres ». Et s’il meurt, il ressuscite. Mais il se surnomme aussi « Doufi » – petit être chétif, perdu au milieu d’un monde effrayant, enfermé dans une spirale sans fin, allongé sur son lit de mort, dans son cercueil, au centre d’un labyrinthe. En 1928, il commence à composer sa propre Marche funèbre, un requiem de plusieurs milliers de pages dont la composition sera interrompue par sa mort.