Henry Darger n’a que quatre ans lorsque sa mère meurt en couches. Son père le confie alors à une famille d’accueil. Il est ensuite placé dans un foyer puis interné dans une institution pour enfants attardés, d’où il s’échappe à dix-sept ans. Au début des années 1920, on le retrouve homme de ménage dans un hôpital de Chicago où il restera jusqu’à sa retraite, en 1963. Rien de cette vie secrète ne laisse soupçonner ce qu’on découvre dans sa chambre, après son départ en maison de retraite : une saga de quinze mille pages en quinze volumes, largement illustrée et intitulée In the Realms of the Unreal (« Dans les royaumes de l’irréel »), œuvre monumentale débutée en 1911 et produite dans l’anonymat le plus complet. Le récit décrit le combat des sœurs Vivian, aidées du capitaine Henry Darger, chef d’une organisation de protection de l’enfance, contre le peuple – adulte – des Glandeliniens qui réduit les enfants en esclavage, les torture et les assassine ; il est illustré en de grandes planches aquarellées recto verso, agrémentées de collages divers. À partir de 1946, Henry Darger utilise des agrandissements photographiques et des calques, qui lui permettent de reproduire une image plusieurs fois et de créer ainsi des sortes d’armées d’enfants, clonées. À Kiyoko Lerner qui lui demandait chaque dimanche, au sortir de la messe, comment il allait, il répondait : « Demain, peut-être, le vent cessera de souffler. »